Les questions environnementales concernant l’estuaire du Havre doivent d’être pensées à plusieurs échelles : une très grande échelle - la vision locale - pour tenir compte des spécificités des milieux séquaniens et des ambitions portuaires métropolitaines du Havre, et une échelle plus petite - une vision plus globale - afin de penser des politiques pertinentes dans l’espace du val de Seine.
Cet impératif de multiplicité scalaire conduit à prendre au sérieux le discours de plusieurs types d’acteurs.
Ces acteurs aux engagements et aux intérêts divergents, mais aussi aux conceptions différentes de la protection de l’environnement estuarien, débattent aujourd’hui dans des cadres renouvelés. La volonté de trouver un compromis entre usage portuaire et préservation des vasières ou roselières estuariennes n’est pas récente (Lévêque, 1992). En 2010 s’est toutefois tenu un Grenelle de l’Estuaire à Lisieux, réunissant des représentants du GPMH, des écologues et des représentants des municipalités. Ce forum, destiné à être reconduit régulièrement, se donnait pour objectif de faire le point sur les politiques menées par les différents acteurs de la scène économique et environnementale de l’estuaire de la Seine. Ainsi, par-delà les tensions, la voie est ouverte pour une politique de développement portuaire et territorial plus durable, processus au cours duquel tous les acteurs auront à prendre part.
La solution qui semble avoir été privilégiée depuis l’extension du port du Havre en 2006 avec le projet Port 2000 est celle du « troc spatial ». Cette pratique consiste à compenser le mitage des milieux protégés pour des usages industriels par l’aménagement d’espaces aux propriétés analogues aux espaces dégradés. Alors que le dragage des chenaux – rendus nécessaires par l’entrée de navires à très fort tonnage - a par exemple entraîné la disparition de vasières servant de lieux de nidification pour de nombreux oiseaux marins, le GPMH a participé en compensation à l’élaboration de deux îlots artificiels à l’accès interdit dans l’estuaire, afin de former des reposoirs pour les oiseaux. De manière générale, cette pratique de troc spatial est très reconnaissable en ce qu’elle conduit à la juxtaposition en « mosaïque » des zones protégées et des zones industrielles. La protection de certaines vasières n’est d’ailleurs due qu’à la proximité immédiate de zones portuaires.
La labellisation des espaces estuariens est à la fois complexe et symptomatique d’une volonté de protection de l’écosystème des zones humides. Dans l’estuaire de la Seine, certaines zones humides du marais Vernier sont ainsi propriétés du Conservatoire du Littoral et classées Natura 2000.
La faune des roselières est également l’objet de protections particulières. Aussi, des routes à forte mortalité pour certains oiseaux, comme le butor étoilé, sont régulièrement fermées à proximité du Pont de Normandie pour augmenter leurs populations. Le cas de la protection des pélodytes ponctués, crapauds très présents dans l’estuaire, est aussi assez emblématique : des populations importantes de cette espèce ont été transportées hors de leur habitat primitif puis pucées afin de faciliter leur suivi. À l’échelle de la vallée de la Seine, cette volonté de protection des paysages et des écosystèmes en parallèle des activités économiques est visible par l’existence d’un Parc Naturel Régional des boucles de la Seine normande, dont l’extension jusqu’à l’estuaire est aujourd’hui discutée.
À rebours de toute sanctuarisation et de mise sous cloche des zones protégées, les acteurs de la protection environnementale réfléchissent de plus en plus aux solutions envisageables pour concilier préservation des milieux et activité économique. Il s’agit de remettre en cause une dichotomie lieux anthropisés / lieux naturels qui ne correspond plus au modèle durable de co-construction et d’adaptation entre les hommes et leurs milieux. La visite d’une ferme louée à des tarifs préférentiels par un éleveur bovin au Conservatoire du littoral, en échange de l’engagement à suivre des procédures d’élevage biologique, nous a ainsi conduit à prendre connaissance d’un projet-pilote considéré par l’instance comme un véritable laboratoire destiné à faire jurisprudence.
La « bonne volonté » de la part des acteurs économiques est aussi liée à l’évolution de la règlementation. La protection est de plus en plus rendue obligatoire par les structures législatives françaises et européennes. La politique de la compensation n’est ainsi pas le pur produit de la conscience écologique des acteurs industriels, elle est rendue nécessaire par les législations.
À ce rôle coercitif s’ajoute un rôle de conseil et d’expertise, réalisé entre autres par le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD). Un rapport récent (8 octobre 2014) présente les orientations du GPMH pour les cinq prochaines années et fixe des directions à tenir pour améliorer la cohabitation entre le port et les milieux estuariens.