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Département de Géographie

École normale supérieure

Le port et la ville



Dynamiques du développement du port vers l’Ouest et du réinvestissement des friches portuaires © Jean-Baptiste Feller

Une situation singulière face à une dynamique de séparation pérenne et commune à toutes les cités portuaires

La séparation entre la ville et les activités portuaire est un processus géographique qui touche depuis une quarantaine d’années les grandes villes maritimes. C’est d’une part l’effet d’un manque de place pour le développement d’industries sur l’eau ou de zones logistiques. C’est parfois l’effet d’opérations foncières et immobilières quand le port a un statut privé. C’est l’effet, d’autre part, de la mécanisation des activités portuaires qui n’exige plus la main d’œuvre abondante des anciens centres urabains.

Le port de Dunkerque est issu de la greffe d’un port industriel sur une ville double : un petit port de la mer du Nord (dont l’activité se limitait essentiellement à un peu de pêche et au cabotage jusqu’au XIXe, et à une activité commerciale modérée à partir du milieu du XIXe) et une petite station balnéaire. De ce fait, cette dynamique se produit dans une ville où la séparation entre ville et activité portuaire était peut-être déjà plus forte que dans d’autres villes portuaire dans les années 1950-60.

Les darses du bassin Freycinet ont été construites de l’Est vers l’Ouest, entamant dès le XIXe siècle ce mouvement par un développement centrifuge et asymétrique. Le bassin maritime puis l’avant-port Ouest prolongent ce mouvement lors de la phase de la construction de la ZIP. Le port Est perd alors en importance relative et son activité principale est la construction navale.

La crise des issue des chocs pétroliers a été le fait déclencheur d’un recul de l’activité du port Est. La dynamique d’éloignement du centre n’est plus un développement vers l’Ouest mais un recul à partir de l’Est. Le petit trafic vraquier des darses du bassin Freycinet devient peu rentable. Les chantiers navals qui employaient 5 000 personnes à proximité du centre-ville en 1980 ferment définitivement en 1987. En revanche, l’activité du Port Ouest, autour du « port rapide », continue à progresser, et la fin des années 1980 y voit l’ouverture de nouvelles usines, comme Aluminium Dunkerque. Aujourd’hui, dans un contexte économique à nouveau troublé, la perspective de la construction d’un terminal méthanier au Clipon et les difficultés de l’implantation industrielle d’ArcelorMittal, la plus proche de la ville, semblent devoir prolonger cette dynamique.

L’importance d’une telle dynamique pour les villes tient à ce qu’elle fasse coïncider une croissance de l’occupation de l’espace avec une croissance de l’emploi puis une libération d’espace avec des destructions d’emploi. Comme d’autres villes portuaires, Dunkerque a donc dû affronter dans les Trente Glorieuses une forte croissance de la population dans un contexte où le foncier disponible se réduisait puis une phase où des friches apparaissait alors que le déclin industriel générait un déclin démographique et un déclin des ressources des municipalités.

La ville à la reconquête d’un port abstrait


ZAC "Grand Large" sur le site des anciens chantiers navals dont on distingue une ancienne halle à l’arrière-plan, la "cathédrale" (© Jean-Baptiste Feller)

Dès lors, la façon dont la ville se réapproprie les espaces libérés n’est pas seulement un enjeu d’aménagement urbain mais aussi l’occasion d’affirmer une « reprise en main », de rechercher une dynamique face à un déclin et de se réapproprier physiquement et idéellement des espaces historiquement liés à l’activité maritime. C’est dans cette perspective qu’il faut appréhender l’onomastique associée aux projets urbains du « centre marine », du « quartier grand large » ou « Poséïdon ». C’est aussi le sens de l’installation de navires-musées dans le bassin qui baigne le centre-ville. C’est donc avant tout une relation surtout abstraite avec la mer qui se reconstruit à travers la reconquête des espaces libérés par le port et les chantiers navals. L’installation d’un port de plaisance aux pieds de la tour de la place du Minck pourrait conduire à nuancer le propos quoique il faudrait pour cela prouver que ce sont bien des Dunkerquois qui louent les anneaux.

De nos observations sur place, les pratiques liées au littoral tournent le dos au port, à l’image de la circulation pour les loisirs sur la digue du Braek et sur le Clipon ou s’en écartent, profitant alors par exemple à Malo-les-Bains, situé à l’Est de la ville, à l’opposé du port. Quant à la ville, elle se protège de la ZIP derrière des haies d’arbres, les exemples de Mardyck et de Fort-Mardyck sont les plus révélateurs.

Aussi, malgré une reconquête d’espaces portuaires, les liens entre ville et port qui se sont géographiquement distendus ne se renouent pas de manière évidente. Au contraire, on peut même affirmer que seul l’emploi lie désormais le port réel à la ville et que sans les industries qui lui sont lié, le port serait pour les habitants un « non-lieu » au sens de Marc Augé.

Hors de la ville, le port réel conserve un rôle économique capital pour la ville

Le port lui-même emploie un personnel réduit puisque l’essentiel des activités logistiques sont assurées par des prestataires de service. Néanmoins il joue un rôle économique essentiel à travers les implantations industrielles de la ZIP (ArcelorMittal employait directement à lui seul environ 4 000 personnes en 2008) et par sa capacité d’investissement (de l’ordre de 50 millions d’euros par an). Dans la présentation de la ville sur son site Internet, « Découvrir Dunkerque », le port occupe une place essentielle. Dans un film promotionnel, la mairie met en avant la ville comme une « cité corsaire, troisième port de France » et le texte associé débute par ces mots qui décrivent Dunkerque comme le « premier port maritime français de la Mer du Nord » et la « première plate-forme énergétique d’Europe ».

Le port demeure donc une référence incontournable. Néanmoins on peut se demander si une telle situation n’est pas, en réalité, révélatrice d’un fonctionnement territorial ancien. Les principaux ports mondiaux, après être sortis des villes, se sont développés de façon à avoir un impact régional. Le port de Dunkerque est lui toujours rapporté à l’agglomération dont il est issu.

En conclusion, nous pouvons remarquer que les rapports entre ville et port à Dunkerque sont assez éloignés de l’idéal d’une reprise de contact entre deux territoires tel qu’il peut se dessiner dans certains documents programmatiques, notamment d’origine européenne1. Si les dynamiques classiques ont transformé leurs liens historiques, la nature singulière de la ZIP par rapport aux autres ports nord-européens, la singularise et fait naître de vraies questions sur la durabilité du port, tant environnementale qu’économique et sociale.

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